Le Hobbit de 1937 comme cadre d’aventures

Dimanche 17 septembre 2017

Je n’ai que récemment lu cet article, qui pose comme hypothèse que le Hobbit soit le seul ouvrage en lien avec la Terre du Milieu et s’interroge sur ce qu’en serait sa nature. C’est un très bon article si on considère l’essai qui suit, aussi allez donc le lire vite. Je vous attends ici.

Prêt ? OK.

Si Bilbo le Hobbit (édition de 1937) existait par lui-même, que saurions-nous de cet univers ? Comment fonctionnerait ce cadre pour un JdR ?

Bilbo le Hobbit est généralement considéré comme un texte candide. Le Hobbit est plutôt un conte de fées, par opposition au monde décrit par la trilogie plus récente. Si vous observez une influence Nordique dans le Hobbit, ce sont des souvenirs à moitié effacés, importés par les vikings en Angleterre, et réinventés par les habitants. En fait, si on recherche dans le texte du livre, le terme « Terre du Milieu » n’apparaît même pas. Par conséquent, je ferai référence aux « Terres Sauvages » dans ce cadre de jeu, puisque c’est le nom qu’on lui donne dans la carte fournie avec le livre.

Voici quelques-unes de mes observations…

De quoi parle le jeu ?

Un jeu basé sur un univers littéraire se doit d’essayer d’émuler au mieux les thèmes centraux du texte. On accomplit ceci par 1) une compréhension partagée entre le MJ et les joueurs et 2) des mécaniques qui accompagnent ces thèmes principaux. Ce qui soulève donc cette question : de quoi parle le Hobbit ?

Voici les thèmes principaux que je propose :

  1. la recherche de trésors
  2. les voyages
  3. le chant

La recherche de trésors

Et je vous assure qu’il y a une marque sur cette porte — une marque reconnue par les connaisseurs, présents ou passés. Cambrioleur recherche travail, fait d’aventures et accompagné d’une récompense raisonnable, c’est comme ça qu’on la déchiffre. Vous pouvez dire « expert en recherche de trésors » au lieu de cambrioleur, si vous voulez. Certains l’appellent ainsi.

L’intrigue du Hobbit est identifiable : un héros malgré lui, un mentor avisé, une spirale vers le danger, une transformation et un retour au foyer. Un des ressorts principaux, toutefois, est que Bilbo est un cambrioleur, c’est à dire un expert en recherche de trésors. Le texte sous-tend que c’est une classe d’aventuriers. Il nous dit que ces personnes en font publicité en l’indiquant par des runes sur leur porte. Les cambrioleurs peuvent signer des contrats pour partir à l’aventure pour votre compte ou avec vous.

Je pars donc du principe que dans un jeu se déroulant dans les Terres Sauvages, les joueurs seront tous et toutes des cambrioleurs professionels. Au lieu de se réunir dans une taverne, les clients viendront cogner à votre huis (à la Sherlock Holmes) pour vous proposer un contrat similaire à celui proposé à Bilbo par Thorin : « Termes du contrat : de l’argent à la livraison, à hauteur maximale d’un quatorzième des bénéfices totaux (s’il y en a) ; toutes les dépenses étant couvertes quelle qu’en soient les circonstances ; les dépenses de funérailles étant prises en charge par nos personnes ou nos représentants, si l’occasion se présente et n’est pas réglée d’une autre manière ».

Voyages

La Route se poursuit sans fin / Sous les nuages et les étoiles / Les pas de ceux qui ont fait leur périple / Retournent enfin vers leur lointain foyer.

Le Hobbit traite essentiellement d’un voyage, comme le suggère le sous-titre Histoire d’un aller et retour. Un hexcrawl1 semble être approprié pour ce genre de cadre — mais pas un « bac à sable » à la progression sinueuse ou vagabonde. J’ai plus en tête un hexcrawl du style « aller du point A au point B », où une certaine carte est donnée aux PJs, avec laquelle ils sont à même de choisir le meilleur chemin. Tolkien fournit une carte dans le livre. Sans la trilogie pour vous coincer, vous pouvez imaginer combien de nouvelles cartes pourraient être dressées par ceux qui voudraient explorer les autres recoins des Terres Sauvages (Le jeu de rôle L’Anneau Unique8 a bien tourné cet aspect en créant deux jeux de cartes : une pour les joueurs et une pour le MJ).

Nouvelle règle : l’expérience basée sur le voyage

(NB : le blog de Jeff (anglais) décrit un système alternatif.)

Chanter

Et les voici chevauchant, accompagnés par le chants d’adieux et de bon voyage, leurs cœurs résolus à plus d’aventure, en sachant quelle route suivre pour passer les Monts Brumeux vers la vallée au-delà.

Il y a plus de chants que de batailles dans le Hobbit, d’un facteur mille. Dans le livre, les chansons ont une fonction importante. Ce sont 1) des outils mnémotechniques pour se rappeler des légendes 2) des truismes ou des appels à une autorité rhétorique 3) des railleries 4) des chants de bataille encourageants 5) des traits d’humour 6) du réconfort.

Bien que ce ne soit évidemment pas la tasse de thé de chacun, les chants sont d’importance dans le Hobbit, ce qui en fait une mécanique centrale. Imaginez le système de prouesses de Exalted2 ou le système de duels par haïku dans Warrior-Poet3.

Nouvelle règle : Chanter pour réussir

Quand un PJ chante ou déclame au moins un couplet d’une chanson en complément de son action, il gagne +1d6 de bonus à son jet au d20.
Vous récupérez un seul dé de bonus si la chanson n’est pas de vous (juste une chanson de Tolkien ou une chanson populaire).
Vous aurez deux dés de bonus si la chanson est originale, reste dans l’esthétique Tolkienienne, et semble appropriée par rapport à l’action en cours.

À quoi ressemble ce cadre ?

On pourrait décrire le paysage général avec les mots : merveilleux et ancien.

Malgré le fait que les gens insistent sur le côté « peu magique » des Terres du Milieu, Le Hobbit baigne littéralement dans la magie. Sans les ajouts de la trilogie, du Silmarillion, et des autres recueils tardifs, Gandalf devient « juste un magicien ». On donne des anneaux magiques en récompense d’un concours d’énigmes. Les trolls ont des porte-monnaie qui peuvent crier quand on essaie de les dérober et des cavernes remplies d’épées magiques. Les aigles, les araignées et les loups savent parler. Je qualifierai les Terres Sauvages de « fantastiques ».

Nouvelle règle : les langues des animaux

Les animaux parlent leur propre langue. Les renards parlent le renardin, les aigles parle l’aiglais, les grives parlent le grivien, etc. Les animaux avec un haut score d’Intelligence peuvent apprendre des langues en plus, y compris le Langage Commun. Les Personnages Joueurs avec une bonne Intelligence peuvent apprendre des langues supplémentaires, y compris les langues animales.

Cet univers conserve ce sentiment de « déclin » qu’on trouve dans la trilogie. Les Nains n’ont plus les moyens d’accéder aux sciences astronomiques qui leur permettraient de calculer quand aurait lieu le Jour de Durin. Le Royaume de Dale a été dévasté par le dragon, et sa lignée s’est presque éteinte. Elrond parle du temps où le royaume des Hauts-Elfes, Gondolin, a été détruit par les Gobelins. Et pour autant, toutes ces racines anciennes ont réussi à se frayer un chemin vers l’époque actuelle.

Nouvelle règle : identification

Vous pouvez dire qu’un objet est magique s’il a des runes inscrites dessus. Jusqu’à ce qu’on l’identifie, tous les objets magiques sont dans une sorte d’état quantique instable. Si un personnage essaie d’utiliser l’objet magique, cet état quantique se stabilise. Le MJ fait un jet sur sa table d’objets magiques préférée et détermine la nature de l’objet. Comme le joueur en fait l’expérience, le MJ l’informe de ce qui arrive. Est-ce qu’il prend feu ? Est-ce qu’il revient quand on le lance ? Tout ceci se détermine avec fluidité.
Si le joueur garde l’objet magique jusqu’à ce qu’il soit identifié via a) une recherche dans un havre ou b) un PNJ érudit, le joueur aura l’autorisation de déclarer le type de magie qu’il recèle. Le MJ devra fournir une liste des objets magiques tolérés dans son univers (ou peut-être son équivalent à +1 ?) et laisser les joueurs choisir la nature de l’objet qu’ils ont trouvé.

À quoi ressemblent les personnages ?

Les gens qui lisent l’histoire de Bilbo ont une vision spéciale de ce « who’s who » des Terres Sauvages. Les Gobelins capturent et emprisonnent le groupe de Thorin — mais ce fut aussi le cas des Elfes Sylvains. Les loups les ont piégés et les aigles les ont secourus, mais on nous indique que les aigles ne sont pas de « gentils oiseaux ». On nous dit que ni les Elfes, ni les Gobelins, ni Beorn n’éprouvent de grand amour pour les Nains. On le comprend quand Thorin se réapproprie le Royaume Sous-la-Montagne : les Nains peuvent aussi être des salauds.

En l’absence d’un Seigneur des Ténèbres pour unir les forces du mal, et donc unir les forces du bien contre lui, on nous propose un patchwork de races préoccupées par leurs propres intérêts et leurs problèmes.

Les lignées semblent importantes pour les peuples des Terres Sauvages. Bard sait parler aux grives parce qu’il est du sang de Dale. Bilbo tire peut-être sa bravoure de ses gènes Took. Gandalf fait référence à Radagast le magicien comme son « cousin », la magie fait visiblement son chemin au travers des lignées.

À cause de tout cela, je pense que les montées d’expérience pour les classes OSR9 qu’ont fait Zak S et Jeff seraient amusants à utiliser pour ces jeux. Quand vous tirez une capacité étrange au hasard et que soudainement vous savez parler la langue des blaireaux, vous pouvez dire : « Ah, évidemment ! Le sang des Brockhouse coule dans mes veines. Ils avaient des blaireaux comme animaux de compagnie ».

Les personnages-joueurs peuvent être :

Humains

Personne n’avait osé livrer bataille contre lui depuis longtemps ; ni même à présent, si ce n’est grâce à cet homme à la voix rauque (il s’appelait Bard), qui allait et venait pour les encourager et implorer le Maître de combattre jusqu’à leur dernière flèche.

Les Terres Sauvages abritent apparemment une poignée tribus d’humains. Le vieux royaume de Dale s’est réduit à la population du Long Lac. Beorn a perdu son origine dans la nuit des temps. La carte mentionne des Hommes de bois. Les Elfes commercent avec ceux de Dorwinion. Je vais partir du principe qu’il existe d’autres royaumes des Hommes. Ils ressembleront aux gens de Ham dans Le Fermier Gilles de Ham4 ou les hommes du Val dans La Fille du roi des elfes5.

Les Humains progressent en utilisant l’avancement « par défaut » (anglais). Sauf si ce sont des magiciens. Ceux-ci progresseront comme les sorcières (en anglais)7.

Hobbits

Il n’y a pas ou peu de magie en eux, sauf celle, ordinaire, qui leur permet de disparaître discrètement et rapidement quand une personne aussi balourde que vous et moi s’approche pesamment, aussi bruyant qu’un éléphant, repéré à un kilomètre à la ronde. Ils ont tendance à l’embonpoint ; s’habillent de couleurs vives (essentiellement du vert et du jaune) ; ne portent pas de chaussures, leurs pieds sont protégés par une corne sur la plante et une touffe de poils bouclés sur le dessus ; ils ont des longs doigts déliés, de beaux visages avenants et rient abondamment (particulièrement après dîner, qu’ils prennent deux fois par jour quand ils le peuvent).

Les Hobbits (anglais) évoluent comme les Semi-Hommes. Sauf qu’on les appelle Hobbits. Ne le répétez pas au Tolkien Estate6.

Nains

Les Nains du temps jadis connaissaient de puissants sortilèges, / Quand leurs marteaux frappaient comme sur des cloches sonnantes / Au plus profond, où dorment les êtres des ténèbres, / Dans les salles sombres sous les montagnes.

Les Nains (anglais) progressent comme des Nains. Il est probable que tout le monde les déteste.

Gobelins

Les Gobelins sont cruels, mauvais et malfaisants. Ils ne fabriquent pas de belles choses, mais ils font des choses ingénieuses. Il savent creuser des tunnels et des mines pratiquement aussi bien que les Nains, quand ils en prennent la peine, mais leurs cavités sont habituellement désordonnées et sales. Marteaux, haches, épées, dagues, pioches, pincettes, mais également des instruments de torture, ils savent aussi en faire, ou les faire faire par leurs prisonniers ou esclaves qui travailleront jusqu’à la mort par manque d’air et de lumière. Il est probable qu’ils ont inventé quelque sorte de machine qui auront mis le chaos dans le monde, particulièrement pour celles capables de tuer un grand nombre de personnes à la fois, car ils apprécient toujours les engrenages, les machineries et les explosions, et ils aiment aussi bien ne pas se salir les mains au travail si possible ; mais à cette époque et dans ces régions ils n’ont pas beaucoup progressé, comme ils disent. Ils ne haïssent pas particulièrement les Nains, pas plus qu’ils haïssent les autres et le reste, et spécialement ceux qui sont civilisés et prospères ; et même certains Nains ont fait d’inquiétantes alliances avec eux.

Les Gobelins (anglais) évoluent comme les Demi-Orques. Ils sont généralement synonyme de « mauvaises nouvelles ».

Une remarque

Le texte mentionne de manière indirecte des « pistolets » ou des « fusils ». Il est aussi signalé que le Gobelins fabriquent des machines et provoquent des explosions. Gandalf gronde Bilbo pour avoir ouvert sa porte comme on tire avec un « pistolet à bouchon ». Les sorts de Gandalf ont l’odeur de la poudre à canon. Vous savez quoi ? Allez-y, ajoutez donc des tromblons dans l’univers des Terres Sauvages. Jouez un Hobbit qui se trimballe avec un fusil.

Elfes

Les Elfes Sylvains de ce vaste monde s’attardent à la lueur vacillante du soleil ou de la lune, mais ils préfèrent celles des étoiles ; jadis ils voyagaient dans les grandes forêts qui s’élevaient haut au-dessus des terres. À présent ils logent le plus souvent aux lisières des forêts, desquelles ils peuvent s’éloigner pour aller chasser, ou chevaucher dans les grandes plaines à la lumière de la lune ou des étoiles ; et après la venue des Hommes, leur splendeur a commencé à décliner.

Le texte fait la différence entre les Hauts-Elfes et les Elfes Sylvains. Il y est dit que les Elfes Sylvains sont plus dangereux et moins sages. Les Hauts-Elfes (anglais) montent de niveau comme des Elfes. Il y a trois tribus de Hauts-Elfes : les Elfes Profonds, les Elfes Marins et les Elfes de la Lumière. Les Elfes Sylvains (anglais)7 progressent comme des rôdeurs. Ils se méfient des étrangers, mais n’en sont pas pour autant agressifs.

Ami des Elfes

Le maître de maison était un Ami des Elfes — un de ceux dont les ancêtres ont vécu de singulières aventures avant le commencement de l’Histoire, pendant les guerres entre les Gobelins maléfiques, les Elfes et les premiers Hommes du Nord. Dans les temps de notre histoire, il y avait encore quelques gens qui avaient pour ancêtres à la fois des Elfes et des Hommes du Nord, et Elrond, le maître de maison était leur chef.

Les Amis des Elfes (anglais) progressent comme les Semi-Elfes.

Grands animaux

Que ce soient les loups, les araignées ou les aigles, il semble que les animaux aient une part active dans ce monde tout comme leurs homologues à deux jambes. Si quelqu’un voulait vraiment jouer un animal, je pense que je bricolerais quelque chose à partir du Brave chien (Very Good Dog, en anglais) de Arnold K.

Nouvelle règle : les noms critiques

Quand vous faites un succès critique (que ce soit un 20 ou un 1, en fonction de vos règles du jeu), vous pouvez dépenser 10 XP pour vous donner un surnom ou nommer un de vos objets.
Par exemple, si vous vous emparez d’un gourdin et que vous arrivez à repousser l’attaque d’un Gobelin avec un succès critique, vous pouvez vous affubler du surnom de « Écu-de-chêne ». Si vous usez de votre dague magique et perforez la tête de cette stupide araignée avec un succès critique, vous pouvez surnommer votre dague « Dard ».
Quand votre nom (ou le nom de votre objet) émerge et semble approprié à l’action en cours, vous pouvez ajouter +1 à votre jet. Par exemple, si le nom de votre arme est « la tueuse de Gobelins », vous aurez un +1 en attaquant les Gobelins.

Original : http ://riseupcomus.blogspot.com/2017/09/1937-hobbit-as-setting.html


  1. hexcrawl — se dit d’un style de jeu dans lequel les personnages se déplacent sur une carte composée d’hexagones (toutes les notes sont du traducteur). 

  2. Exalted, en français « Exaltés » — un jeu de rôle d’heroic fantasy, publié par White Wolf en 2001. Il a pour inspiration les films d’arts martiaux et de sabre, ainsi que les mangas. Référence du G.R.O.G. : http ://www.legrog.org/jeux/exaltes

  3. Warrior-Poet — jeu de rôle de Grant Howitt, 2014 : https ://gshowitt.itch.io/warrior-poet. Sans MJ, les joueurs sont en compétitions les uns contre les autres. Le système de duels est basé sur la rédaction de haïkus, chaque ligne faisant l’objet d’un arbitrage et augmentant le pool de dés. 

  4. Le Fermier Gilles de Ham — conte de fées de J.R.R. Tolkien, paru en 1949, paru en français dans le recueil intitulé Faërie (Christian Bourgois - 1974). 

  5. La Fille du roi des elfes — conte écrit par Lord Dunsany (1924), publié en français par Denoël (1976). 

  6. Le terme « Hobbit » est utilisé ici sans l’autorisation de Tolkien Estate. Si vous voulez, vous pouvez les appeler Haubitz, du nom d’un village en Autriche (merci Éric Nieudan pour le tuyau). 

  7. Le blog de Zak Smith est réputé « Not Safe for Work », c’est à dire qu’il recèle des images ou des contenus pouvant heurter certaines sensibilités. Cliquez en votre âme et conscience. 

  8. L’Anneau Unique — Jeu de rôle publié par Cubicle 7 en anglais et par Edge Entertainement en français. Fiche du G.R.O.G. : http ://www.legrog.org/jeux/anneau-unique 

  9. OSR — Old School Renaissance.